La valise

Il y a une petite fille dans la rue, qui marche. Elle n’a pas l’air de savoir où elle va, mais elle traine avec elle une grosse valise au cuir sombre et rectangulaire, avec deux clips et une serrure au milieu. C’est un très vieux modèle, à ce point qu’il n’y a pas de roulette dessus. La valise est tellement grosse qu’elle est obligée de la tirer derrière elle en la laissant racler le sol.
La petite fille est ralentie par son gros machin, très lourd, trop lourd pour son tout petit gabarit.
Elle est toute petite, toute seule au milieu des passants qui marchent sans la voir, le nez en l’air alors qu’elle a le sien au plancher. Elle tire, elle sue, elle avance courageusement de quelques mètres à chaque fois.
Elle ne sait pas ce qu’il y a dans cette valise. Elle a tenté de l’ouvrir un jour, mais la serrure est restée bloquée. Elle ne se souvient même plus quand est-ce qu’elle l’a eu. Peut-être a-t-elle toujours été là. Alors, elle continue de trainer son boulet qu’elle ne comprend pas, sans réussir à l’abandonner sur le bas-côté. Parfois, elle se sent fatiguée de devoir le porter toute seule. Parfois, elle s’énerve contre cette valise qui la ralentie, elle se bute à taper dedans avec rage et elle s’épuise, et puis elle s’endort dessus. Lorsqu’elle se réveille, elle se remet en route, résignée, avec son gros truc qui lui casse les pieds.
Elle a parcouru de longues routes comme ça. Elle s’est demandé si elle devait s’arrêter chez un serrurier, elle a essayé toutes les clefs qu’elle a trouvé sur son chemin, en espérant que peut-être, par miracle, l’une d’entre elle ouvrirait sa valise. Mais rien n’a jamais fonctionné.
Un jour, elle a croisé sur sa route un petit garçon qui n’était encombré de rien, les mains dans les poches et le nez en l’air. Il regardait les oiseaux passer au-dessus de sa tête, sans faire attention à ce qu’il avait devant lui. Alors, il se prit les pieds dans la grosse valise de la petite fille, et tomba tête la première.
Sonné, il regarda cet imprévu avec un air hébété, son regard allant et venant de la petite fille à la grosse valise.
Il se remis sur ses pieds, épousseta son jean, et tandis que la petite fille reprenait déjà son chemin, le regard droit devant, il se saisi de l’arrière de la valise, et commença à marcher avec elle.
Elle senti sa valise s’envoler vers le ciel, et s’arrêta de stupeur.
En se retournant, elle vit cet inconnu qui cheminait avec elle, les mains prises par son gros bagage. Il lui sourit, sans rien demander. Elle lui fit mine de reposer la valise, ne voulant pas l’encombrer, mais reçu pour toute réponse qu’un pouce levé vers le ciel. L’air tranquille, il se remit en marche.
Et sans mot dire, l’un et l’autre reprirent la route, regardant dans la même direction, portant ensemble cette valise, ce gros contenant qui portait en lui un passé qu’elle ne comprenait pas, et qui conditionnait depuis toujours son parcours. Mais pour la première fois de sa vie, elle ne s’en plaignait plus. Elle avait trouvé sur sa route une âme aimable qui se fichait d’aller vite, pourvu qu’ils marchent ensemble.