Episode 4
THE HYGGELIG HOUSE

16 novembre 2021
Un train pour Aarhus. Puis, un train pour Aalborg. En une matinée, nous sommes passé du sud au nord, pour rejoindre une ville universitaire plus active qu’Esbjerg. Tandis que je regarde les paysages défiler, nous évoquons le retour. Aucun billet n’a été pris, et je ne veux pas y penser. Peut-être parce que ce n’est que le début, je ne veux pas rentrer. Jamais. Alors, pour la seconde fois déjà, nous balayons le sujet d’un revers de main et nous concentrons sur la recherche d’hôtes pour nous accueillir.
« Audrey, 27 ans, passionnée de yoga, d’art et de sport, sur la route du Danemark avec Rémi, tout juste 30 ans, amateur de vins et fromage – the frenchiest guy you’ll ever met » telle est la manière dont je nous décris pour nous présenter aux hôtes potentiels. Et si le démarrage est laborieux, la chance finie par nous sourire.
A Aalborg, nous devons dormir chez une étudiante en physique appliquée, qui, découverte impromptue, a un colocataire. Ils sont un peu en dehors de la ville, mais ce n’est pas grave : l’excitation d’avoir notre premier couchsurfing l’emporte sur la localisation du lieu.
Christina et Nicolaj sont deux étudiants passionnés par la France. Entre la culture et la langue, ils sont avides d’histoires, débordant de questions, plus même que nous qui sommes les visiteurs. Si les quelques premières minutes de notre arrivée sont timides, tous novices dans l’art de faire du couchsurfing, l’aptitude surnaturelle de Rémi à engager la conversation, sa mission personnelle de ne jamais laisser de blanc nous sauve, et tout devient de plus en plus fluide, jusqu’à ce que, sans qu’on ne s’en rende compte, la journée s’achève. Nous n’avons pas vu le soleil se coucher, nous n’avons pas vu les aiguilles de l’horloge tourner : nous avions trop de questions, trop de choses à découvrir sur les Danois, leur façon de vivre, leur façon de parler. Autour d’un café, d’une pâtisserie, nous tentons de baragouiner quelques mots dans leur langue, avant de leur apprendre quelques mots de la nôtre. Nous échangeons nos impressions, eux sur Nice et Paris, nous sur ce que l’on a déjà pu voir du pays. Nous échangeons. C’est bien là le mot qui convient. Ils nous donnent un peu de leur quotidien, nous leur donnons un peu de notre culture, et inversement. Ils sont adorables, à l’écoute, et déterminés à nous faire passer un bon séjour chez eux. Pour le diner, ils nous proposent de cuisiner un repas typique, de ceux que l’on sert le jour de noël.
Christina et moi nous occupons de la soupe de potiron, tandis que Rémi et Nicolaj prennent le dessert à bras le corps. Et comme nous sommes français, et comme ils aiment le vin, ils nous proposent d’ouvrir une bouteille, en nous demandant avant notre avis sur la qualité de la bouteille.
C’est l’instant de gloire de Rémi, « the wine and cheese lover ». Au cours du repas, il se lance dans une explication pointue et détaillée des bonnes manières à la française, de la façon dont il faut déguster le vin, de l’art de gouter le fromage. Tout y est, c’est une véritable démonstration de la meilleure façon d’être français. Nicolaj et Christina sont pendus à ses lèvres, trop heureux d’avoir le peuple de la baguette à leur table. Un peu en retrait, j’observe cette scène improbable.
Cette scène de vie, de vie danoise que j’observe de l’extérieur depuis deux jours, je suis dedans à présent. Quelqu’un est enfin sorti d’une des maisons dont je regardais par les fenêtres pour m’inviter à entrer. Entrer dans leur monde, dans leur réalité. Ce qui nous semble si exceptionnel est pour eux si routinier. L’intérieur de la maison est cosy, propre et rangé, chaleureux. Chaque chose a une place, une fonction, un ordre établi sans rigidité, et embellie par les innombrable plantes que Christina entretien méticuleusement.
Le canapé vert sapin fait face à deux fauteuils scandinaves tout droit sortis d’une page IKEA, et de l’autre coté de la pièce, un grand bureau en bois massif, imposant, sérieux. A ses pieds, deux trompettes, et plus loin, un piano droit. Nicolaj, dont la sensibilité transparait dans la douceur de ses traits et la maladresse de ses gestes, est le musicien des lieux. De ses instruments, il accompagne la voix cristalline de Christina, qui chante dans les églises et fait ses vocalises dans le salon, entre deux ateliers de couture.
Elle apprend le français en regardant les films de Disney et porte des robes bustiers dont les jupons sont larges. Elle est petite, les cheveux longs et ondulés, avec de grands yeux bleus qui lui donne un air candide. Et lorsque je lui dis que je veux bien lui apprendre un peu de français, elle s’exclame en frappant dans ses mains, submergée par l’excitation.
En revenant à la surface de mes pensées, je découvre que Rémi a promis une tartiflette pour demain. En remerciement pour le repas de ce soir, et aussi, un peu, pour faire découvrir à nos hôtes un repas typiquement français.
« Should I bring the dessert ? » Nicolaj hésite. Au Danemark, il est assez rare d’avoir un dessert, le repas se constituant normalement uniquement du plat principal. Le dessert est, selon eux, réservé pour les grandes occasions, comme Noël. Nous décidons que ce soir est une grande occasion, et nous dégustons ensemble la mousse au citron cuisinée plus tôt par les garçons, ironiquement appelée « Citron fromager » (en danois dans le texte).
« In Danish we have a word for this kind of moment » nous explique Nicolaj en fin de soirée. Hyggelig. Ça veut dire « cosy ».