Episode 6
LA MAISON DE HANS

18 novembre 2021
On a raté la station pour Albaek. On a dû sortir à celle d’après et voilà une demi-heure qu’on attend dans le froid. On commence à toucher le nord du pays, et ici le vent souffle fort. Quand le train arrive enfin, on reste à coté de la porte pour être sûrs de ne pas se faire avoir une deuxième fois, et, bon an- mal-an, nous arrivons chez Hans.
Hans est un homme d’une cinquantaine d’année. Il est plongeur professionnel pour les compagnies pétrolières, et traine avec lui toute une vie de pêcheur. Avant, il habitait à Skagen, là où nous irons demain. Il a vécu ici toute sa vie, et la ville est chargée de l’histoire de sa famille. A peine arrivons nous chez lui qu’il nous raconte toute sa vie, de la sieste de laquelle nous l’avons tiré à l’histoire des bateaux que nous pouvons apercevoir sur le port. Il nous raconte tous ses voyages, toutes ses expériences de couchsurfing et toutes ses histoires de fesses. Pour un premier contact, je ne m’attendais pas à autant de… partage.
Malgré l’atteinte à la pudeur dont fait preuve ce monsieur, on sent chez Hans l’envie de nous voir passer un bon séjour. D’une hospitalité démesurée, il nous apprend très vite qu’il existe près d’ici un désert de sable, et nous propose d’y aller sur le champ.
Parés à l’aventure, nous chaussons à nouveau nos baskets. A peine remis de notre trajet depuis Aalborg, nous voila déjà repartis. Nous devons nous presser si nous voulons voir le désert avant le couché du soleil, mais Hans à quelques difficultés à s’arrêter de parler.
Du coup, il continue de nous raconter ses histoires dans la voiture, sur le trajet pour aller jusqu’à Rabjerg Mile.
Rabjerg Mile est le résultat d’un phénomène naturel étonnant : ici, le vent souffle fort et pousse le sable, créant une étendue désertique de plus de six cents mètres, qui avance un petit peu tous les ans. Le vent façonne le désert de formes singulières. Des dunes, un sol en relief et des dénivelés magnifiques nous attendent lorsque, après avoir garé la voiture où Hans nous attendra, et escaladé plusieurs mètres de dunes, nous découvrons ce désert.
Nous marchons quelques pas, émerveillés par ce que nous avons sous les yeux. Le sable à perte de vue nous fait perdre tous nos repères, et les dunes sont très hautes. Nous commençons à en escalader une, et très vite, nous perdons dix ans. Rémi se met à courir contre le vent, les bras déployés comme les ailes d’un avion. Nous regardons avec béatitude le sable soulevé par le vent voler comme si un fantôme rasait le sol.
Le vent souffle si fort qu’on entend que lui. Il nous crie dans les oreilles, comme pour signifier que la vraie vie est ici. Les bras déployés, je le laisse me porter, lui faisant une confiance aveugle. A cet instant, le vent est le troisième protagoniste de mon histoire, si ce n’est le principal. Depuis Fanø, je sais qu’il me parle, il prend toute la place dans mes oreilles, et intimide mes pensées intérieures. Il traverse ma peau pour pénétrer mes os, gravant à jamais en moi le souvenir de ces instants. Le vent détient une sagesse que nous sommes peu souvent apte à entendre, car il transporte avec lui le message de tous ceux que nous ne croisons pas.
Alors, au milieu de tout ce sable, et de tout ce vent, à nouveau je prends le temps d’écouter.
Courant dans le sable, je joue à chat avec le vent. Je le laisse me caresser les joues, m’envelopper avec tendresse, me murmurer des secrets, observer avec lui les dessins dans le sol.
Puis, je vois Rémi en train de faire l’avion et je pars jouer avec lui. Nous avons couru en haut des dunes, sautés dans des buttes de sable, nous en mettant plein les chaussures comme deux enfants qui sautent dans les flaques.
Rémi a même voulu faire un ange dans le sable comme on en fait dans la neige, sans prendre en compte tout ce vent qui fait courir le sable au-dessus du sol. Il s’est pris une rafale, du sable plein les cheveux. J’explose de rire, et on fini par se dire que le soleil se couche et qu’il faut rentrer.
Sur le retour, je fais remarquer à Rémi qu’il y a même pas une heure, aucun de nous n’était conscient de l’existence de cet endroit, et que c’est exactement dans ce genre de surprise magnifique que mon voyage trouve son sens.