La couche sacrée de l’oignon

Nous sommes tous des oignons. Nous avons tous des couches. Des niveaux de compréhension différents, qui se révèlent à mesure que l’on apprend à connaître quelqu’un. Effeuiller l’oignon d’autrui, c’est mon jeu préféré. Observer, décortiquer, comprendre. Percer les secrets des uns et des autres, assis là en silence. Apprendre.
C’est juste que certains ont plus de couches que d’autres, des couches plus épaisses, ou bien presque rien, comme des coquilles vides. Les insipides ont des couches si fines qu’elles sont translucides.
Elle, avait un nombre de couche encore jamais atteint. J’épluchais une épaisseur après l’autre sans jamais en voir le bout.
Je pensais qu’une fois la nudité explorée, l’intimité brisée, les couches se feraient plus fines, plus rares, plus facile à retirer. Mais c’était comme si plus j’avançais, plus son armure devenait de fer, de cristal, de roche. Elle était impénétrable, illisible. A me demander si elle était réelle.
Tout n’était que confusion et paradoxe. Elle a d’abord attiré mon regard par le sien, glacé, dur, incisif. Je me suis dit, quelqu’un avec un tel dédain doit cacher bien des fragilités. Par un raisonnement qui me semblait logique, je me suis dit que si la première couche était si dure, le reste ne devait être que douceur et vulnérabilité. Comme un ours en chocolat, avec le coeur en guimauve.
Quelle surprise alors, de voir que sous le chocolat se cachait une multitude d’autres saveurs, qui n’avaient rien à voir entre elles, qui s’accordaient et se désaccordaient au gré des jours, et de son bon vouloir.
Happé par l’aventure, je me suis saisi de ma machette pour aller découvrir cette jungle, ce nouveau terrain gorgé de jeux.
Sous la couche de contrôle, il y avait une enfant perdue.
Sous la couche de l’enfant perdue, il y avait une dominatrice.
Sous la couche de la dominatrice, il y avait une philosophe.
Sous la couche de la philosophe, il y avait une folie douce. Celle-ci était charmante.
Sous la couche de la folie, il y avait un esprit cartésien d’une logique implacable. Chaque fois que je pensais la cerner, elle m’échappait. Et plus elle m’échappait, et plus je tombais amoureux.
Et plus je tombais amoureux, et moins elle en montrait. C’était à ni rien comprendre.
Peut-être derrière ces couches se cachait-il quelque chose d’encore plus éclatant, rendant tout ce que j’avais déjà vu encore très superficiel. C’était comme si, sachant cela, elle s’appliquait à garder loin de mes yeux ces richesses de l’âme, ces inestimables trésors.
Elle nourrissait à l’intérieur d’elle un univers si vaste, qu’elle aurait pu créer son propre macrocosme sans l’aide de quiconque. Elle était au centre d’un monde qui m’était inconnu, dont le langage chantait seulement pour ses oreilles, et qu’aucun profane ne pouvait comprendre, jamais. Mon âme d’explorateur se faisait anthropologue, hypnotisé, obsédé par l’idée de comprendre la langue qui était sienne. Je finissais par croire qu’elle n’était pas de ce monde, qu’elle venait d’un ailleurs plus chatoyant que tout ce que la terre – déjà si riche – pouvait avoir à nous offrir.
Atteindre ces quelques ultimes couches était un acte de foi, tant pour elle d’oser me les montrer, que pour moi, d’oser les regarder. Comme si au bout de ses mains se tenait l’essence de son existence, que tout son être s’employait à protéger. Devant la facilité avec laquelle on pouvait lui briser le coeur, il fallait redoubler de vigilance pour ne pas en faire de même avec son âme.