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La Nostalgie


Il m’arrive souvent, le soir, tard, de rester les yeux grands ouverts dans le noir, allongée dans mon lit. Je fixe le plafond sans réussir à m’endormir, avec une boule dans la gorge, sans parvenir à l’avaler vraiment. Je sens que la tristesse est là, tapie, prête à surgir.

Et pourtant, bloquée. Comme cet éternuement insupportable qui reste coincé dans un coin de votre nez, qui vous titille mais qui ne sort jamais.

Je suis fatiguée, lessivée, et pourtant bien réveillée. J’ai envie de pleurer, de changer toute ma vie, de recommencer à zéro, repartir du début, ailleurs, autrement.

Oublier les gens que je connais, pour oublier qu’ils me manquent. Oublier les amours que j’ai vécu, pour oublier qu’ils sont passés.

Oublier les bons moments pour oublier qu’ils n’existent plus. Qu’ils ne sont plus qu’un vague souvenir qui s’estompera avec le temps, avec le vieillissement de mon corps, de ma mémoire, de mon être tout entier. Oublier que je vais oublier.

Oublier. Quel terrible mot, quelle terrible fatalité. J’écris tout pour ne rien oublier et pourtant je sais qu’au moment où j’écris les souvenirs sont déjà tordus, réduis à une sensation, biaisés par un ressenti.

Des bribes me reviennent parfois, grâce à une odeur, un mot, une mélodie. Et je sombre dans la nostalgie. J’y pense et je me dis que c’était bien, mais que c’était avant. Que c’est un temps révolu, que les choses ont changé, dehors, dedans.

Je repense à mes amitiés brisées, à mes amours déchus. Et je pense que je suis seule. J’aimerais revenir au fondement, à mon noyau solide, perdu sous des couches superficielles, enseveli sous la poussière du quotidien, le parasite de l’instantanée.

Je rencontre de nouvelles personnes, je papillonne d’un groupe à l’autre, je parle, je vomis des mots, des banalités, des bêtises, je feins de m’intéresser à l’autre, à son histoire, à sa pensée quand la mienne me ramène à ceux dont je ne connais plus le récit, ceux qui continuent d’écrire les chapitres d’une vie que je ne lis plus. Parce que chacun est pris dans son histoire, on oublie de lire celles de ceux pour qui notre cœur s’éveille.

Ceux pour qui on bat, ceux à qui on pense, ceux qui nous rassurent, ceux qui nous aiment vraiment. Ceux qui nous ont vu pleurer, crier, rire, tout en même temps. Ceux qui connaissent nos parents, ceux qui chérissent notre vie comme on chérit leurs cœurs.

La nostalgie, elle me prend, toujours au pire moment. Elle me cajole, elle m’enveloppe, et elle m’empêche de dormir. Elle est le souvenir de ce qui est fini, et se rappelle toujours à moi pendant les débuts. Les débuts, ce sont des choses fragiles, parce qu’ils ne tiennent qu’à un fil. Comme les jeunes plantes qui sortent timidement de la terre, il faut entretenir les débuts pour qu’ils ne meurent jamais, pour qu’ils deviennent solides. Et ces solides amitiés que j’ai tissées et que je ne regarde presque plus, j’y pense toujours quand j’arrose les nouvelles.

Et alors j’ai envie d’y retourner, d’y rester, et d’oublier les jeunes pousses pour me blottir dans mes valeurs sûres. Comme l’envie de rentrer à la maison, sans me sentir chez moi nulle part, sans vraiment savoir où j’habite.

Il y a un grand tout qui me manque, une vie passée, finie, terrassée par le monde autour de moi. Et je me sens oppressée. Pressée. Pressée de changer, d’aller ailleurs, d’aller mieux. Sauf que je ne sais pas comment on fait.
Ou plutôt, je sais qu’il faut du courage pour faire ce qu’il faut, et je ne le trouve pas, et je suis coincée. Coincée à l’extérieur, dans le froid. Je veux juste réussir à retrouver le chemin de la maison, et rentrer… chez moi.

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Un Commentaire

  1. Quelle jolie plume..tu décris si bien tes états d’âme!
    Tu ne n’as pas fait que m’embarquer dans ton histoire, tu as rendu la mienne visible, tengible!
    Toutes ces interrogations sans reponse, tout ce vide dans un trop plein qui oppresse, cette impression de ne trouver sa place nulle part parce qu’elle peut être partout!
    J’aime beaucoup te lire parce que tu mets des mots sur certains de mes maux.
    Tu le fais avec une telle simplicité, honnêté, purtée que sa touche le coeur du lecteur que je suis!

    Je pense que beaucoup de gens se reconnaîtront dans tes écrits
    Merci et bravo l’artiste

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