L’eau des fleurs

Il y a dans un jardin une fleur, avec des pétales roses, et douces comme de la soie. Chaque jour elle se tourne vers le soleil pour apprécier sa chaleur, et accueille l’eau que distribue le jardinier à chacune des plantes du jardin.
Un beau jour, dans l’espace libre à côté d’elle, le jardinier planta une autre fleur, magnifique et puissante, avec de longs pétales d’argent, éclatants, sur lesquels se reflètent le soleil et éblouissent la petite fleur sa voisine.
Prise d’admiration, la petite fleur ne pouvait se détourner de la vue de cette splendeur que l’univers avait mis sur son chemin. Se sentant chanceuse de partager la même réalité qu’elle, la petite fleur se perdit dans la contemplation, et tomba amoureuse.
Alors, quand chaque jour le jardinier vint donner à chaque plante son quota d’eau, la petite fleur redirigeait sa part vers son amour. Sans rien attendre en retour, elle lui donnait avec joie, pour qu’elle n’en manque jamais, et qu’elle trouve la force d’être encore plus belle, encore plus glorieuse, encore plus vivante. Car que vaudrait un monde privé de cette fleur merveilleuse ?
La fleur de soie ne pouvait y penser. Et la fleur aux pétales d’argent grandit, s’embellit et devin plus divine encore que ce que le jardinier n’eut pu un jour espérer.
Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi tant d’attention, elle qui n’avait rien demandé, mais se garda bien de protester, chanceuse de recevoir tant d’affection. Elle prenait ce qu’on lui donnait, sans trop oser se poser de question.
De son coté, la petite fleur, privée de son eau qu’elle offrait inlassablement à la grande fleur aux pétales d’argent, resta petite, mais heureuse de son offrande, trop amoureuse pour se demander quel bien tirer de toute cette histoire.
Mais il vint un jour où, trop grande et trop belle pour ce petit espace dans lequel l’avait logé le jardinier, la grande fleur d’argent fut déracinée et transportée ailleurs, dans un espace plus grand, plus à sa taille. Et juste comme ça, sans se retourner, sans un regard pour cette toute petite fleur qui lui avait tant donné, la grande fleur s’en fut.
Le trou laissé par le passage de cette fleur était béant, et la petite aux pétales de soie, face à lui, n’était que bien peu de chose. Pour autant, sa peine était immense.
Les jours passèrent, puis ce fut des mois, pendant lesquels elle se laissa flétrir. Trop accoutumée à dévier la trajectoire de l’eau, elle ne savait plus comment s’abreuver. Ses racines étaient devenues trop sèches et trop faibles pour trouver l’énergie de capter à nouveau cet élixir de vie que le jardinier continuait pourtant de distribuer, inlassablement, à chacune de ses plantes. Elle ne savait plus boire, elle ne savait plus vivre. Elle devint de plus en plus chétive, et de plus en plus terne à mesure que le temps passait.
La petite fleur aux pétales de soie était en train de mourir d’amour, et son cœur était brisé.
Par chance, une fleur qui meurt se fane, donnant un signe extérieur à une douleur intérieure, comme un appel à l’aide.
Ainsi, même silencieuse, elle reste visible. Mais comment faire alors lorsque l’on fane à l’intérieur, sans pouvoir laisser apparaitre la douleur à quiconque porte sur nous un regard depuis l’extérieur ? Comment faire lorsqu’on a tant donné qu’on n’est plus capable de recevoir, qu’une barrière invisible nous empêche de ressentir la chaleur, laissant notre moulin asséché, inactif, cassé ?
Si le jardinier peut voir la fleur et lui donner l’amour dont elle a besoin pour guérir, panser ses racines meurtries et prendre le temps de lui réapprendre à boire l’eau, qui peut en faire de même pour un cœur abimé à l’espèce humaine ?
Jusqu’à ce que tu te rends compte que tu es la seule qui peut vraiment t’aider, ceux à qui tu ouvriras ton coeur et qui t’aiment, le feront pour toi!😉