Les amants de Schrödinger

On raconte souvent l’histoire des couples qui se séparent car l’un cesse d’aimer l’autre. Les chansons d’amour qui pleurent la perte, qui pleurent de ne plus être sur un piédestal, qui trépignent de rage de voir que l’autre avance, sans nous. Qui crachent leur douleur d’avoir été trompé, trahis, remplacé. Quand est-il des couples qui s’aiment, mais qui se séparent quand même ?
Après avoir heurté le mur, après une longue chute brutale et douloureuse, main dans la main, ils se regardent. Autour d’eux tout est blanc, tout est nuit, et l’asphalte a laissé sur leur corps les traces du choc. Ecorchés et meurtris, ils ne bougent plus. Ils flottent. Entre la vie et la mort, les amants errent entre les éclats de verres, les éclats de voix, les éclats de larmes.
Elle lui tient le bras comme on retient un naufragé, comme on s’accroche à quelqu’un qui s’apprête à disparaitre. Le visage déformé par la douleur, le cœur en morceau, elle veut crier. Mais dans ce temps suspendu, les sons n’ont pas leur place. Alors elle crie en silence, elle supplie de tenir bon tandis que de son côté il voit son âme peu à peu s’envoler. Le choc a déchiré sa poitrine, laissant son cœur à vif, mutilé, mourant. Il a envie de se laisser dériver, il a envie de se laisser partir.
Main dans la main, les voilà coincés dans cet entre-deux, un sas où le temps n’existe plus, suspendu, perdu. Perdus comme eux, qui doivent décider s’ils veulent vivre ou mourir.
Comme la vie semble dure et méchante, et comme la mort semble douce. Douce, mais esseulée. Les doigts entrelacés, ils ne savent plus s’il faut encore se battre, encore souffrir comme le prix à payer pour rester ensemble, ou mourir, doucement, calmement, sentir la douleur s’en aller à jamais, et les éloigner l’un de l’autre jusqu’à ne plus se voir, ne plus se sentir ; et puis un jour, ne plus se souvenir.
Les amants sont ainsi, blessés, flottants, suspendus entre deux réalités, dont aucune option ne semble assez évidente pour pouvoir être décidée. Les amants de Schrödinger restent alors ainsi coincés ; ni vraiment vivants, ni tout à fait morts.