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Sur le ring


Je suis partie en vadrouille pendant un mois. Un mois pendant lequel je n’ai pas cessé de bouger. Un mois qui m’a bousculé partout dans la tête, comme un séisme lent, comme pour me laisser le temps d’assimiler tous ces éclairs de lucidité. Comme pour me dire « attention ça va secouer », mais sans vouloir me faire mal.

Bousculée au ralenti, voilà une étrange expérience. La claque en décéléré ne fait pas moins mal, c’est même peut-être encore plus douloureux. On a bien le temps de sentir tous les petits os du visage trembler, les pommettes se fissurer, la langue se coincer entre nos dents crispées, le nez se torde un peu sur le côté. On a bien le temps de sentir l’onde de choc nous traverser, les yeux se retourner dans leurs orbites et le rouge sur la joue nous brûler. De honte, de colère, d’exaspération et surtout d’incompréhension. On se voit cogné au ralenti, pour mieux savourer l’échec ou la révélation, selon l’angle par lequel on accepte de regarder.

Je l’ai d’abord pris comme un échec. Encore des crises, encore des peurs, encore des angoisses et encore pleurs. Celle-là, tout le temps elle pleure. Tout le temps elle chouine. La morve au nez et le doudou dans les bras, enfoncée dans son lit et cachée sous les draps, à pleurer sa mère parce que « la vie c’est dur ».

Oui la vie c’est dur. Et alors ?

La vie c’est dur, ça fait mal, ça cogne, ça bastonne, ça déboite ta mâchoire, ça te met par terre et tout ça sans prévenir. Mais si les boxeurs remontent sur le ring, il y a une raison. Une stimulation, une envie, une énergie, un truc qui les pousse à recommencer à l’infini, comme pour défier la vie de les mettre au tapis. Comme pour dire « essaye encore, chienne de vie ». Comme on pisse contre le vent, comme on ouvre les bras devant l’ouragan, comme on pose sa poitrine sur un fusil. Vas-y, essaie encore. Les quatre vingt six tentatives précédentes n’étaient pas les bonnes, chienne de vie.

Comme les boxeurs, les gens ont ce courage incroyable de remonter sur le ring tous les jours que dieu fait. Tous les matins ils enfilent les gants, ils lèvent les poings et se tiennent prêts. Animés par l’énergie du bien heureux qui ignore, du désespéré qui y croit encore, ils se lèvent et partent au front.

Et moi, je suis comme eux. Tous les jours je me dit que la vie c’est dur, que c’est une chienne des rues, qui aboie, qui mort et qui me pisse dessus. Et pourtant tous les matins je lui tend la main, et de temps en temps, à force d’essayer, la chienne vous lèche le bout des doigts, frotte sa tête à vos jambes et vous prête sa balle. Alors vous vous dites que ça valait la peine de se prendre quatre-vingt-six coups de dents, que c’est pas si mal et que vous resterez un jour de plus, juste pour voir.

Comme les boxeurs, les gens ordinaires font preuve de courage. Chaque matin ils se lèvent, enfilent les gants pour aller jouer leur tour sur le ring. Peut-être se prendre une baffe, mais peut-être avoir une victoire, aussi. Le courage c’est avoir toujours l’espoir de gagner un combat, et de revenir le lendemain, malgré les défaites. Le courage c’est d’avoir peur, peut-être mal, mais d’y aller quand même.

Je me suis vue sur le ring. Gants aux poings, poings levés, garde dressée. J’ai pris les coups, j’ai pleuré sous mon casque, mais j’ai continué de cogner. J’ai passé l’été à bouger, j’ai pris des trains et des avions, parfois les deux dans la même journée. Je suis sortie de ma zone de confort pour ne plus jamais y retourner, et à la fin de l’été, j’ai laissé derrière les portes d’embarquement mon dernier filet de sécurité pour commencer une vie nouvelle, inconnue et terrifiante. Encore une fois, j’ai pris mes angoisses sous le bras, et je suis remontée sur le ring. 

Chaque matin, je me lève en regardant la peur droit dans les yeux. Cette peur de vivre, de ressentir, d’essayer et de ne pas y arriver. Parfois elle me met un K.O percutant qui me laisse vide et honteuse, et parfois, c’est moi qui place le premier uppercut, pour partir à l’aventure sans considération pour mes démons.

L’important au fond, quelle que soit l’issue du combat, c’est de continuer d’essayer.   

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