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Unfollow


C’est si bête. Unfollow quelqu’un, arrêter de le suivre sur les réseaux sociaux. Internet. En 2022, ce truc de ne plus suivre les gens numériquement est le clic retentissant d’un symbole de libération. De fin.  

Quand j’étais ado, et que je vivais une rupture, je n’avais rien pour exorciser mon cœur brisé, me dire que je tournais la page. On avait que nos yeux pour pleurer et nos têtes pour prendre de grandes décisions, dont personne ne savait rien. Mais les mots, parce qu’ils ne sont pas palpables, sont presque toujours réversibles. 
Et puis, avec la venue de Facebook, Instagram, Twitter et tous les autres, la symbolique de la rupture a pris un autre tournant. 
Aujourd’hui quand je dis à mes copines que je dois tourner la page, elles me répondent presque du tac au tac : “tu l’as bloqué de partout ?” Comme si le sortir de notre téléphone allait le sortir de notre tête, et plus encore de notre vie. C’est absurde. Et en même temps… 

Combien de lettre ai-je écrite pour dire adieu ? De combien de mots mes doigts ont tabassé le clavier pour hurler mon désespoir de m’être faite larguée, d’avoir humilié, trompé, détruit ? Combien de fois ai-je voulu demander pardon et combien de fois ai-je voulu insulter ? 
Avant, les ruptures étaient d’une atrocité muette et seuls nos draps étaient témoins de cette rage d’aimer, des larmes versées et des supplications pour que la douleur cesse. 

Mais maintenant, nous avons ce tout petit bouton pour nous murmurer à nous même “si tu cliques, tu tourneras la page, et tu iras mieux”. 

Là où, auparavant les grandes décisions n’étaient dites que de nous à nous, nous avons à présent le moyen de dire à l’autre “j’arrête de penser à toi”. Plus encore: “je ne veux plus penser à toi”. Et bien, je trouve cette symbolique d’une puissance folle.
Nos parents nous diraient que ce n’est rien de cliquer sur “se désabonner”, que ce n’est qu’un écran de fumée, de rien, rien de tangible. 

Mais dans notre culture digitalisée, se désabonner de quelqu’un c’est lui dire “je ne veux plus t’aimer”. Ce n’est même pas que je ne t’aime plus. C’est la volonté d’arrêter de t’aimer. Désirer de ne plus te ressentir.
Et entendre “je ne veux plus t’aimer” est d’une retentissante violence. C’est la cassure, l’adieu, l’oubli. Ce n’est pas “je te déteste”, “je te méprise”, non, c’est encore pire : je choisi de ne plus te considérer. L’indifférence, c’est peut-être ce qu’il y a de plus dévastateur dans nos relations humaines. Parce que l’indifférence, c’est le désintérêt.
Dire à quelqu’un “tu ne m’intéresses pas”, c’est lui dire qu’aucune émotion ne nous traverse lorsqu’on pense à elle, ou lui. Tu ne suscites plus aucune émotion chez moi. Tu n’existes plus. 

Voilà, c’est ce que ça veut dire, unfollow. Tu n’existes plus à mes yeux. Adieu. 

Donc lorsqu’un garçon me fait du mal, lorsqu’il y a rupture, le moment où l’un se désabonne de l’autre est crucial. Crucial, et terrible. Je ne sais pas pour vous mais j’ai un mal fou à le faire. Car lorsque je le fait, je ne dis pas juste “je ne t’aime plus” mais “je n’ai plus envie de t’aimer”. Mais je t’aime toujours, et je dois désapprendre. Je dois te garder loin de mes yeux pour que mon cœur apprenne à rester loin de toi. 
Je dois t’oublier. Et me désabonner de quelqu’un que j’aime, c’est renoncer à ressentir. C’est pour le mieux sans aucun doute. Mais renoncer à ressentir, accepter d’oublier, c’est parfois plus douloureux encore que la rupture en elle-même. Surtout pour quelqu’un comme moi qui, en plus de tout le reste, se noie régulièrement dans une nostalgie excessive. 

Presque à chaque fois, me désabonner de quelqu’un a été comme rompre à nouveau. Ça m’a fait mal et je n’en avais pas envie. A chaque fois, j’ai envoyé ce message clair à lui ou à l’univers, celui qui dit “je t’exclut de ma vie”. Alors que, la plupart du temps, je n’ai eu que l’envie de le voir revenir tambouriner à ma porte, pour tout recommencer.  

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Un Commentaire

  1. Et ben! Quelle puissance cet article. Pour ma part, unfollow la personne m’aide beaucoup dans mon processus de deuil. C’est une des choses dont j’éprouve le besoin de faire pour aller de l’avant. Ça ne fait pas tout, mais ça m’aide.

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